Elle a le regard de ceux qui en ont déjà tant vu. On peut y lire la rage et la détermination de qui veut arriver au bout d’une grande aventure, y trouver les tempêtes traversées aussi. La mer est calme, le ciel clair.

Marie Tabarly vient de ­remporter un tour du monde à bord de « Pen Duick VI ». À 50 ans, en s’imposant enfin dans la course pour laquelle il avait été construit, le légendaire voilier renoue avec son destin. Marie, elle, fêtera ses 40 ans cet été. Ce cadeau, le plus beau de tous, c’est comme s’ils se le devaient mutuellement. Comme s’il leur était destiné.

Au terme de huit mois d’efforts insensés, de 28 000 milles marins (près de 52 000 kilomètres) et d’une ultime étape de trente-sept jours, la capitaine jette l’ancre pour la dernière fois dans le port de Cowes, sur l’île de Wight, au large de Southampton. Le chapitre ouvert en 2021 se referme. Elle va pouvoir souffler.

La folle odyssée lui a, entre autres, coûté deux dents (une de chaque côté, arrachées lors des dernières escales) et un bout de chair de la cuisse, souvenir de la morsure d’un lion de mer.

« Je n’aime pas les arrivées »

Au-delà de la compétition, cela faisait trois ans qu’elle portait ce projet dantesque. Seule ou presque. Recherche de financement, recrutement de l’équipage, préparation du bateau, gestion de la course, tout reposait sur ses épaules.

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« Je ne prends plus aucune décision sur rien ces prochaines semaines », plaisante-t-elle. Le repos qui s’annonce va donc faire le plus grand bien à ces marins aux mines rongées par le sel et la fatigue, à la peau tannée par le soleil, malmenée par les embruns.

Marie Tabarly (à g.) et son équipage victorieux. Six professionnels et seize amateurs, une proportion imposée par la course, se sont relayés pour être toujours douze à bord.

Marie Tabarly (à g.) et son équipage victorieux. Six professionnels et seize amateurs, une proportion imposée par la course, se sont relayés pour être toujours douze à bord. © Guillaume Plisson

Pourtant, les émotions s’emmêlent, Marie Tabarly a le cœur gros. Avec ses créoles, ses cheveux au vent et ses traits tirés, la capitaine fixe l’horizon, l’air grave : « Je n’aime pas les arrivées. À chaque fois, j’ai l’impression d’abandonner mon bateau. »

Se séparer de « Pen Duick VI », même temporairement, est pour elle un déchirement. Peut-être qu’il n’y a qu’au large, sur ce bateau, qu’elle se sent exister pleinement. Alors, ce n’est pas en ville mais sur son pont d’aluminium qu’elle fêtera cette victoire. Loin des « hourras » de ses supporteurs.

« Pen Duick », une vision avant-gardiste pour héritage

« “Pen Duick” est un membre de ma famille », résume-t-elle. Le fruit de la vision avant-gardiste de son père, Éric Tabarly. La « mésange à tête noire », sixième du nom, voit le jour en 1973. Onze ans avant Marie.

Toute petite déjà, elle passe des heures à bord, avec son père, fascinée par les récits de ses aventures fantastiques, pétrie d’histoires océaniques au goût d’ailleurs, ­nourrie de ce qui est devenu pour lui une « philosophie ». « Pen Duick VI » a été à la fois le théâtre et le témoin de ces instants précieux. Le trait d’union entre un père et sa fille.

Noël aux Antilles l’année des 4 ans de Marie. Dix ans plus tard, en juin 1998, Éric Tabarly disparaît en mer d’Irlande.

Noël aux Antilles l’année des 4 ans de Marie. Dix ans plus tard, en juin 1998, Éric Tabarly disparaît en mer d’Irlande. © COLLECTION PERSONNELLE MARIE TABARLY

On connaissait les qualités du père, et quand la fille reprend le flambeau, c’est bien fait. Avec classe. Il y a une forme de limpidité et d’évidence.

Olivier de Kersauson

Aujourd’hui, à la barre, Marie ravive d’un seul coup le mythe et perpétue l’héritage. Serait-elle victime d’une sorte d’atavisme ? « Cette hérédité n’est pas absurde. C’est une belle hérédité. On connaissait les qualités du père, et quand la fille reprend le flambeau, c’est bien fait. Avec classe. Il y a une forme de limpidité et d’évidence », analyse Olivier de Kersauson, ému. L’ancien équipier d’Éric Tabarly a fait de Marie la marraine de tous ses bateaux.

Un bateau qui sera toujours là

Pas de quoi provoquer chez elle le moindre sentiment de satisfaction orgueilleuse. « On n’est pas propriétaire de ses enfants, ­relativise-t-elle. C’était important de montrer que “Pen Duick VI” était capable de “faire du beau bateau” à 50 ans comme à sa naissance, mais je me vois davantage comme sa gardienne. Rien de plus. C’est moi qui m’occupe de lui, qui l’entretiens, qui recherche des projets pour lui faire prendre la mer. Un bateau à quai ça ne vit pas. “Pen Duick” a besoin de naviguer. Ma plus grosse angoisse, c’est de ne pas savoir qui s’occuperait de lui si je n’étais plus là. »

Marie Tabarly (à g.) et son équipage victorieux. Six professionnels et seize amateurs, une proportion imposée par la course, se sont relayés pour être toujours douze à bord.

Avec une partie de l’équipage qui l’a accompagnée jusqu’à la victoire. © Guillaume Plisson

Et qui s’occuperait de Marie Tabarly si « Pen Duick VI » n’était plus là ? Cette hypothèse, elle ne l’envisage même pas. « Impossible », dit-elle. La foi dans son voilier est inébranlable. Il ne peut rien lui arriver. Elle n’en a jamais douté.

Ensemble, ils sont capables de déplacer des montagnes d’eau, ­d’affronter les situations les plus délicates, dans les endroits les plus retranchés ou redoutés, des mers du Sud aux quarantièmes rugissants ou au cap Horn.

J’ai la vie de mon équipage entre les mains. Une mauvaise décision peut se transformer en drame.

Marie Tabarly

Dans la dernière étape du tour du monde, le vaisseau de 33 tonnes a ­d’ailleurs frôlé la catastrophe, couché à 90 degrés par une vague de 8 mètres de haut. Par bonheur, personne n’était sur le pont. Dans la cabine, en revanche, les secousses sont considérables, et Anne, l’une des équipières projetée contre une tige de fer, finit avec trois fissures au ­coccyx. À la barre, accrochée par un baudrier et une longe de 30 centimètres, Marie, elle, fait corps avec la bête.

La violence des éléments qui se déchaînent et leurs conséquences, Marie Tabarly en a parfaitement conscience.

« J’ai la vie de mon équipage entre les mains. Une mauvaise décision peut se transformer en drame », recadre-t-elle, sourcils froncés. Et d’ajouter : « Perdre quelqu’un en mer, ce n’est pas drôle. J’ai trop de copains – d’excellents marins, des capitaines – à qui c’est arrivé. »

Alors, elle ne baisse jamais la garde, en vigilance constante. La navigatrice est dure, avec elle-même comme avec les autres, elle le reconnaît. Mais le sort n’a pas toujours été tendre avec elle non plus. Marie a quelque chose d’écorché vif. Elle s’est aussi construite dans l’adversité.

Fille d’une légende, émancipée

Elle a 13 ans quand, une nuit de juin 1998, elle apprend la disparition en mer du plus grand marin français. Son père. Le choc est tectonique, l’hommage ­national. Le président de la République, Jacques Chirac, arrive aux obsèques en hélicoptère.

Durant la cérémonie, la petite Marie reste figée. Rien ne transparaît mais l’insouciance et la légèreté de sa courte jeunesse viennent de prendre fin. Elle ne peut plus être une adolescente comme les autres. Pendant trois semaines, les gendarmes ont fait le pied de grue devant le domicile familial pour tenir à distance les paparazzis.

Fille d’une légende, telle est sa croix. Sa chance aussi. Mais comment se construire quand chaque jour on lui rappelle de qui elle tient ? Entre sa peine, ses souvenirs, et l’image de ce père tant chéri mais dont elle veut s’émanciper, Marie roule vaillamment sa bosse.

Parler à l’oreille des chevaux

Elle ressort de tout cela avec un sens de l’analyse très affûté, un instinct redoutable, une méfiance à toute épreuve. Cheval sauvage, indomptable et hypersensible, à l’image de ceux auprès desquels elle a longtemps trouvé refuge. Comportementaliste équine de formation, Marie Tabarly n’a qu’une hâte : retrouver ses deux chevaux, les seuls êtres au monde qui justifient qu’elle quitte « Pen Duick VI ». « J’ai besoin de les voir, de m’occuper d’eux, d’être à leurs côtés. »

Elle leur parle, leur murmure comme on confie un secret et guérit leurs traumatismes. Un service réciproque. « Avec les chevaux, c’est comme sur un bateau, dit-elle. Tu ne peux pas mentir. » Les ­équidés l’ont réconciliée avec les humains en qui elle ne croyait plus. Ils ne sont pas pour rien dans son style et sa capacité à mener un équipage autour du monde.

Dans le tempérament aussi, il y a quelque chose. Je suis une Tabarly.

Marie Tabarly

« Ma priorité a été de recruter des personnes avec qui j’avais envie de passer du temps. Des humains extraordinaires avec des valeurs formidables et pour qui j’ai énormément d’admiration. »

Sur mer et dans sa tête, Marie Tabarly garde le cap. « J’aurais pu mal tourner, concède-t-elle. Mais depuis quelques années ça va mieux. Je m’accepte mieux. D’ailleurs, plus le temps passe, plus sur les photos je trouve que je ressemble à mon père. Physiquement, il y a un truc. Dans le tempérament aussi, il y a quelque chose. Je suis une Tabarly. »

La finalité de antillesvoile.com est de débattre de Pratiquer la voile aux antilles en toute authenticité en vous donnant la visibilité de tout ce qui est en lien avec ce thème sur le net Ce texte est reconstitué aussi exactement que possible. Si vous projetez d’apporter quelques modifications sur le thème « Pratiquer la voile aux antilles », vous avez la possibilité de d’échanger avec notre journaliste responsable. Ce dossier autour du sujet « Pratiquer la voile aux antilles » a été trié en ligne par les spécialistes de la rédaction de antillesvoile.com En consultant de manière régulière notre blog vous serez informé des futures parutions.

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