Aurélie Sacchelli, Media365, publié le samedi 27 avril 2024 à 10h15

Dimanche, Jérémie Beyou prendra le départ de la Transat CIC, qui relie Lorient à New York, à bord de Charal 2, avec l’objectif de briller et préparer au mieux son monocoque en vue du prochain Vendée Globe. Le skipper de 47 ans s’est confié à notre site.

Jérémie Beyou, vous prenez ce dimanche le départ de la Transat CIC, c’est un passage obligé avant le Vendée Globe en novembre ?
Oui, c’est ça. Il y a des courses et le bateau est prêt, donc forcément j’ai envie de faire ces courses-là. J’ai besoin et envie de faire du solitaire et de retrouver mes marques, me confronter à mes concurrents. Pour préparer le Vendée Globe, ça m’a paru le meilleur scénario. La course est un peu tôt dans la saison, ça a un peu bousculé notre chantier d’hiver mais toute l’équipe Charal a super bien travaillé. Je suis super content et motivé d’y aller.

Pourquoi n’avez-vous jamais participé à cette course qui se déroule tous les quatre ans depuis 1960 (l’édition 2020 a été annulée en raison de la pandémie et celle de 2012 annulée pour laisser la place à un tour d’Europe) ?
Il y a huit ans, le bateau n’était pas prêt. A l’époque, on avait un bateau à dérives sur lequel on avait mis des foils. Mais on n’était pas vraiment pas prêts et on n’avait pas pu être au départ. J’avais fait le parcours, mais en équipage, après la flotte Imoca, et j’avais regardé de loin la victoire d’Armel (Le Cléac’h). Ca m’avait un peu démangé. Avant 2016, les opportunités ne s’étaient pas présentées pour faire cette course-là. Ca fait longtemps que je n’ai pas été bizuth sur une course (sourire). Je suis heureux de faire cette course, qui a un petit côté mythique quand même.

Quelle est la principale différence avec les autres grandes transats que sont la Route du Rhum et la Jacques-Vabre, par exemple ?
C’est surtout la météo, qui est inhérente au parcours et à la destination. Sur une Route du Rhum ou une Transat Jacques Vabre, on relie la France aux Antilles. On navigue donc, à un moment donné, dans le sud de l’anticyclone des Açores, avec du vent portant et des températures clémentes. Là, comme c’est une destination Nord, New York, on reste au nord de l’anticyclone, dans des phénomènes de dépression, dans de l’eau plus froide. Nos bateaux sont rapides, et les phénomènes météo se déplacent rapidement vers nous et s’enchaînent rapidement. Il peut y avoir des vents forts, des mers compliquées. Cela signifie beaucoup de manœuvres, pas de temps-morts. Ce sont des courses beaucoup plus intenses et violentes que des Routes du Rhum ou des Transats Jacques Vabre.

Beyou : « Tabarly, je n’avais pas osé l’approcher »

Craignez-vous la glace ou le brouillard ?
On a des zones d’exclusion sur le parcours qui devraient nous empêcher de se rapprocher de Terre-Neuve et des endroits où les températures peuvent amener des glaçons. Néanmoins, sur l’arrivée en Amérique du Nord, les différences de température d’eau liées au Gulf Stream (courant océanique chaud, ndlr), les différences entre le continent et la mer, peuvent créer de grosses nappes de brouillard. C’est très fréquent à cette période de l’année du côté de New York, Newport. Il y a aussi le trafic maritime, la pêche, des bancs de sable… C’est une zone très compliquée pour naviguer, surtout en solitaire après une dizaine de jours de course. Jusqu’au bout il faudra être vigilant. C’est un peu la course de tous les dangers.

Cette année marquera les 60 ans de la première victoire d’Eric Tabarly (disparu en mer en 1998) sur la Transat anglaise, que représente-t-il pour vous ?
J’ai eu la chance de le voir quand j’étais un jeune navigateur en Optimist. Je devais avoir 10 ans. Je me rappelle aussi l’avoir vu se balader du côté de l’Ile de Batz, en Bretagne Nord. J’étais tombé sur lui en faisant le tour de l’île en vélo. Je n’avais pas osé l’approcher. C’est quelqu’un de très charismatique. Je le regardais avec des yeux d’enfants. Sa disparition nous a tous touchés. C’est celui qui représentera à jamais notre sport, qui représente la course en solitaire par excellence. C’est grâce à lui qu’on est tous là aujourd’hui, c’est lui qui a innové. On essaie tous de cultiver une partie de l’héritage qu’il a laissé. C’était évidemment un personnage. C’est super bien que cette course renaisse. Ca ne part pas d’Angleterre (la course partait de Plymouth de 1960 à 2016, ndlr), mais le trajet est quand même sensiblement identique. Je pense qu’il aurait adoré voir les bateaux sur lesquels on navigue aujourd’hui.

Quel sera votre objectif sur cette Transat CIC ?
L’objectif c’est d’arriver à enchaîner les deux Transats (voir ci-dessous), trouver le bon rythme, les bons réglages. Charal 2 est doté d’une nouvelle paire de foils, qu’on a eu peu de temps pour tester. Il y a des chances que je sois aux avant-postes, et si je suis aux avant-postes, l’idée c’est d’essayer d’être tout devant. Je suis dans l’optique de bien régler le bateau et préparer au mieux mon Vendée Globe.

Beyou : « Je voulais franchir les limites psychologiques que j’avais en moi »

Après cette Transat CIC, vous disputerez la Transat New York – Vendée à partir du 29 mai. Quelles différences y a -t-il entre les deux courses ?
Ca va beaucoup plus vite dans ce sens-là. A l’aller, on va vers les phénomènes météo et les phénomènes météo viennent vers nous, on est dans des vents dominants d’Ouest, on est plutôt face au vent. Au retour, c’est le contraire, avec des vents portants. Et à la vitesse à laquelle vont nos bateaux aujourd’hui, on peut rester devant les phénomènes météo. Autant ça va être engagé au près, avec beaucoup de manœuvres, de la mer dure à l’aller, autant au retour, il y aura toujours des vents forts et ce sera toujours très engagé, mais ce sera très rapide et au portant. Ce sont des météos qu’on ne voit pas souvent, et qu’on devrait retrouver pendant le Vendée Globe dans les Océans indien et atlantique. C’est vraiment la dernière occasion de tester le bateau au portant dans des vents forts avant le Vendée Globe. J’avais remporté l’édition 2016, j’aimerais bien cocher une deuxième case.

Pour préparer cette course, vous avez pris de la hauteur, en grimpant à 3 613m dans le Massif du Mont-Blanc…
Je suis resté une semaine en altitude. L’idée ce n’était pas de faire des globules rouges (sourire), mais de se mettre au vert, de m’isoler avec mon préparateur physique. J’ai eu la chance de faire de la haute montagne avec Charles Dubouloz, le parrain du bateau, de vivre une expérience en haute altitude. Je n’ai pas du tout l’habitude, ce n’est pas mon milieu de prédilection. Je voulais franchir un peu les limites psychologiques que j’avais en moi, me pousser dans mes retranchements dans un environnement qui parait totalement hostile. C’était hyper intéressant. C’était une parenthèse importante dans ma préparation.

(Crédit photo : PolaRYSE)

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