Comment vous sentez-vous au lendemain de cette première grande victoire sur votre Ultim Banque Populaire ?

Armel Le Cléac’h : Ça va très bien, il y a un peu de fatigue, ça retombe. La nuit a été courte car on a bien fêté ça (rires). On savoure et on profite beaucoup avec Sébastien (Josse, son co-skipper, ndlr) et l’équipe. Cela n’arrive pas tous les jours car les grands rendez-vous sont rares en course au large et ça fait beaucoup de bien de vivre ces moments-là, après ce que l’on a traversé ces dernières années. La dernière Route du Rhum était assez proche dans nos têtes (demi-tour après une avarie majeure, ndlr). C’est gratifiant de voir qu’en travaillant, la roue peut tourner assez vite. En un an, on passe d’une énorme frustration à une grande satisfaction à Fort-de-France.

Vous avez connu de nombreux déboires en multicoque. Il y a notamment eu ce forfait de dernière minute sur le Rhum en 2014 et un chavirage violent en 2018. Vous avez douté ?

A L-C : Des doutes, on en a toujours. Ce n’est pas facile de maîtriser ces Ultim (multicoque de 32 mètres de long), cela prend du temps. Il aura fallu plusieurs années pour atteindre un bon niveau de performance et gagner une grande course. Mais je ne me suis jamais dit que j’étais maudit. Juste qu’il y a des périodes plus compliquées que d’autres. Je suis quelqu’un d’assez optimiste et positif dans l’âme et j’avais réussi à gagner d’autres courses comme la Solitaire du Figaro (2003, 2010, 2019) ou le Vendée Globe (2017), donc la méthode fonctionnait. Il fallait juste l’adapter aux multicoques.

C’est quoi justement la méthode Le Cléac’h ?

A L-C : Un peu d’idéalisme peut-être, mais elle consiste à toujours penser qu’on va y arriver. Je ne suis pas du genre à ne pas finir un livre ouvert. Après deux deuxièmes places sur le Vendée, j’ai fini par gagner et j’ai pu passer à autre chose. J’ai fait huit fois la Jacques-Vabre pour arriver à passer la ligne le premier. Et même après tous ces échecs sur le Rhum, je suis persuadé qu’on va finir par remporter cette course, peut-être dans trois ans, peut-être plus tard… J’ai toujours eu cette flamme qui me fait avancer et tant que j’aurai, ça je continuerai à aller au large. Si elle s’éteint, j’arrêterai.

Cela pourrait être le début d’un cycle à succès pour vous et votre équipe ?

A L-C : Je l’espère. Maintenant, on a montré qu’on pouvait gagner en tout cas. Et la suite arrive très vite, pour nous c’est une période de dingue qui commence. On repart dans quelques jours pour la France, se préparer à l’Arkea Ultim Challenge (tour du monde en solitaire entre Ultim à Brest le 7 janvier, ndlr). Cela va être un moment très fort, car on est les pionniers, personne n’a jamais fait ça sur des bateaux de cette taille. Et puis en juin, il y aura le convoyage de la flamme olympique aux Antilles. On va être un peu acteurs de l’événement. J’en suis ravi car si j’avais eu une baguette magique, j’aurais souhaité pouvoir représenter la France. Ensuite, on ambitionne de partir pour une tentative de Jules Verne (record autour du monde en équipage, ndlr). Pouvoir passer sous la barre des 40 jours (le record actuel, établi par Francis Joyon, est de 40 jours et 23 heures, ndlr), cela serait incroyable. En tout cas, on n’a pas le temps de s’embêter… Mais il faut en profiter car, et je parle d’expérience, on ne sait jamais quand une course peut s’arrêter.