Au mois d’avril 2023, Tim Shaddock, 51 ans, un plaisancier australien quitte La Paz (Mexique) à bord de l’Aloha Toa accompagné de sa chienne Bella. Cap sur la Polynésie française distante de 3000 milles nautiques (environ 5550 kilomètres). Les conditions de mer sont difficiles, le bateau est endommagé et les équipements électroniques sont hors d’usage. L’embarcation va dériver trois mois dans le Pacifique Est pendant lesquels Tim et Bella vont se sustenter des provisions embarquées avant de se nourrir de poisson cru et d’eau de pluie. Le 18 juillet, le « Maria Delia », un thonier mexicain, repère le catamaran dans le Pacifique à 1.200 milles nautiques (2.200 km) des côtes.
Ce genre de péripéties est plus courant qu’on pourrait le penser. Trois pêcheurs partis le 28 octobre 2005 du port de Sinaloa (côte nord-est du Mexique) ont été recueillis le 9 août 2006, après une avarie moteur, par l’équipage d’un bateau de pêche taïwanais au large des îles Marshall à 8.000 kilomètres de leur point de départ ! « Nous avons mangé des mouettes crues, des canards, crus, des poissons crus ».
En 1951, Alain Bombard, jeune interne à l’hôpital de Boulogne-sur-Mer et passionné par la mer a déjà nagé de Boulogne à Calais, a traversé la Manche à la nage, et a dérivé pendant trois jours au large de Boulogne-sur-Mer à bord d’un Zodiac en panne de moteur, se nourrissant d’une tablette de beurre et d’un peu d’eau de mer. Le thésard tient son sujet : « J’avais longuement étudié le cas des déportés, des prisonniers et des populations sous-alimentées. Les physiologistes ne tenaient souvent pas compte de la puissance de l’esprit et de son influence sur les réactions du corps, influence pourtant attestée par les jeûnes de Gandhi ».
La même année, le docteur en médecine est traumatisé à la vue des corps des marins du chalutier Notre-Dame de Peyragudes morts noyés. Après études et diverses expériences menées au laboratoire de l’Institut océanographique de Monaco, Bombard accompagné de Jack Palmer, un navigateur britannique, appareillent de Monaco le 25 mai 1952 à 5 heures. Les deux hommes atteignent les Baléares après dix-huit jours de navigation. Pendant ces deux semaines ils n’ont réussi qu’à capturer deux mérous et un thon. Il faut trois kilos de poisson pour récupérer suffisamment de « sérum » et assurer la ration d’eau quotidienne d’une personne. A. Bombard va poursuivre seul vers Las Palmas, via Tanger puis Casablanca.
Le naufragé téméraire a décidé de se laisser dériver à travers l’océan Atlantique afin de démontrer qu’un homme peut survivre sur un canot pneumatique « sans eau ni nourriture, pendant plusieurs semaines et ceci grâce aux ressources de la mer à condition que son moral est bon ». Après avoir consulté les instructions nautiques (documents comportant les courants, le pourcentage de vent en force et direction), Bombard a choisi la route découverte par les navigateurs du XVI° siècle qui atteignaient les Amériques après huit à dix semaines de navigation (dix-sept pour le retour). L’été reste la meilleure période pour atteindre les Antilles depuis les Canaries. L’anticyclone des Açores installé sur l’Atlantique Nord favorise les alizés, mais correspond à la saison des cyclones (juin à novembre). Le dimanche 19 octobre 1952, l’Hérétique, un Zodiac (type 3420) non ponté d’une longueur de 4,65 mètres et gréé d’une voile d’Optimiste quitte port de Las Palmas à six heures.
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Un pneumatique dépourvu de motorisation n’est guère manœuvrable, impossible de suivre un cap déterminé. L’Hérétique a été gréé d’une voile, de deux dérives latérales, et emporte : un compas, un sextant et une montre pour le faire le point (latitude et longitude), une carte marine, une presse à poisson, un filet à plancton, quelques lignes pour pêcher, et une tente qui servira d’« habitacle ».
Un navire en perdition ou dérivant ne fait pas du surplace, il se déplace en fonction du vent et du courant. Le naufragé peut tout au plus utiliser un aviron en guise de gouverne, affaler ou hisser la voile, utiliser une ancre flottante, voire dégonfler légèrement le canot afin qu’il s’enfonce davantage dans l’eau pour profiter d’un courant et contrecarrer le fardage. Lorsque le vent porte dans la bonne direction, on hisse la voile, on gonfle le canot au maximum, on rentre l’ancre flottante, et un aviron fait office de gouvernail. Il est prudent de toujours être relié au canot par une ligne de vie qui servira, en cas de besoin, à le redresser après un chavirage.
Pendant cinquante jours on n’entend plus parler de l’Hérétique ni de son passager, avant d’être signalé par l’Arakaka, un navire britannique, à 1.300 kilomètres des Antilles. Bombard qui n’a aucune idée de sa position accepte de monter à bord. Le naufragé est peu familiarisé avec l’usage d’un sextant, il sait tout juste calculer une droite de hauteur (son exploit en est d’autant plus admirable). L’Hérétique a dérivé vers l’ouest et impossible de recueillir de l’eau douce pendant trois semaines. Il n’a consommé que du poisson cru et du plancton. Bombard accepte : « un œuf sur le plat, un petit morceau, un très petit morceau de foie de veau, une cuillerée de choux et deux ou trois fruits ». Apprenant qu’il se trouve à 600 Milles de son objectif, il a décidé de reprendre la mer.
Le 23 décembre 1952 il débarque à La Barbade (Antilles). L’homme est dans un état critique, il a perdu vingt-cinq kilos, souffre d’anémie, et son état de santé nécessite une hospitalisation. Interviewé, le docteur Bombard raconte que son embarcation a chaviré dix fois, que l’absence de soleil pendant vingt-sept jours l’a privé de l’astre pour estimer sa direction, que l’absence de vent a privé l’Hérétique de la force éolienne et qu’un espadon a percé l’Hérétique et qu’il a dû réparer.
Naufragé volontaire paru en 1953, traduit en quinze langues, va être le livre de chevet de nombreux navigateurs. Ce périple va insuffler l’espoir chez de nombreux navigateurs hauturiers et contribuer à l’élaboration et à la conception des radeaux de sauvetage. Certains objecteront qu’un naufragé ne choisit pas le lieu de son « naufrage », c’est vrai en partie. Un navigateur choisit sa route (fréquentée ou pas) et la saison la plus adaptée. La survie dépend : du moral – du matériel – de la préparation – la chance – de l’aptitude à dépasser ses a priori alimentaires. Ce serait dommage de laisser passer des méduses choux-fleur (rhizostomae). Tout aventurier, même le plus téméraire, ne confond pas exploit et suicide.
La survie en mer peut être très difficile selon la région et les conditions rencontrées : froid, chaleur, conditions météorologiques et de mer exécrables, eaux peux poissonneuses, attaques de mammifères marins. Si manger du poisson cru riche en : zinc, cuivre, iode, sélénium, et en vitamines A, B12 et D permet l’apport d’éléments nutritionnels essentiels, plusieurs centaines d’espèces peuvent être toxiques, et les oiseaux de mer ne s’aventurent que très rarement au grand large. En ce qui concerne les algues fraiches (200 à 400 kcal/kg), ou séchées (2.000 à 3.000 kcal/kg), elles apportent 15 à 47 % de protéines, vitamines B12, C, E, glucides, fibres et une teneur en iode exceptionnelle.
Le 18 août 1958 a été retenu pour un premier test, le franchissement de la barre d’Étel (Morbillan). Le docteur Bombard entend le renouveler par jour de gros temps. Il est de retour le vendredi 3 octobre 1958, jour de grande marée. Rien ne va se dérouler comme prévu. Les Affaires maritimes ont émis un avis défavorable. Le radeau est mis à l’eau à 11 heures face à la barre avec huit personnes à bord. Le vent du sud-est atteint force 5/6, le radeau est submergé, les hommes sont en danger immédiat. Le canot de sauvetage, Vice-Amiral Schwerer II, pousse ses machines, mais un bout (cordage) se prend dans les hélices et bloque le moteur. Le canot de sauvetage n’est plus manœuvrable, un rouleau le retourne et projette ses hommes à la mer. Le remorqueur Ville d’Étel porte assistance aux naufragés. Le docteur Alain Bombard qui a réussi à se hisser sur la coque du canot retourné figure parmi les rescapés, mais le bilan est lourd, on compte neuf morts, quatre occupants du radeau pneumatique et cinq marins sauveteurs. Le procès exonéra Alain Bombard. Des marins locaux déclarèrent : « On n’attaque jamais la barre d’Étel de l’intérieur ». Le banc de sable sous la surface se déplace avec la marée (montante ou descendante) et modifie les courants, ce qui contribue à rendre la barre parfois infranchissable. La barre sera franchie en septembre 1967 par un pneumatique, type Espadon 422 , propulsé par un moteur hors-bord de 40 cv.
Une controverse va apparaître avec la publication d’une photographie prise du pont de l’Arakaka sur laquelle on aperçoit Alain à bord de l’Hérétique. Hannes Lindemann, un docteur en médecine allemand qui a effectué deux traversées de l’Atlantique en solitaire, en 1955 à bord d’un canoë en 65 jours, et à bord d’un kayak Klepper de 5,10 mètres porteur de deux voiles garni d’un flotteur latéral du 20 octobre au 30 décembre 1956, va lancer une polémique. Bombard a chargé des vivres au milieu de l’Atlantique. Ce que Bombard a toujours dénié. S’il a emporté une « ultime réserve d’eau et de nourriture » scellée remise par le commandant de l’Akarakaka, il en a pas consommé le contenu. Connaissant désormais sa position, il était certain d’atteindre un port avant Noël.
Selon der artz Hannes Lindemann, impossible de survivre en buvant de l’eau de mer. L’homme ne peut boire de l’eau de mer que dans la limite du sodium toléré par l’organisme, et ce dernier ne peut produire une urine plus salée que le sang. Le taux de chlorure de sodium dans le sang et l’urine est d’environ 9 grammes/litre, et un litre d’eau de mer en contient 35 gr/litre (salinité moyenne), soit quatre fois plus. Les reins vont donc tenter de produire un volume d’urine supérieur au volume d’eau absorbé en puisant de l’eau dans les cellules. La quantité d’eau de mer doit se limiter à 250 ml (35gr/9gr) et à quatre ou cinq jours. On mesure mieux les recommandations du Dr Bombard à 175 ml, d’en fractionner la prise (50 ml), et de la diluer avec de l’eau douce. Ce pis-aller n’est pas sans conséquence (l’OMS recommande 2,4 gr/jour, ce qui correspond à 62 ml d’eau de mer). Alain Bombard y a perdu un rein (néphrectomie). !
L’exploit du dr Alain Bombard allait avoir d’énormes répercussions sur le mental des navigateurs et l’élaboration des radeaux de survie gonflables (Angevinière), ce qui ne fut pas le cas pour Hannes Lindemann. Il avait embarqué : 96 boîtes de lait, 72 canettes de bière, 60 conserves de viande, et avait été précédé par Franz Romer en 1928 avec la traversée en kayak, Lisbonne Porto-Rico en 58 jours.
Dans les années cinquante, un naufragé n’avait qu’une chance sur mille de survivre à un naufrage, ce chiffre allait passer à plus de quatre-vingt-dix pour-cents ! Un décret de 1958 rend la présence d’un radeau de sauvetage pneumatique à bord d’unités inférieures à 25 tonneaux obligatoire, et selon la catégorie de navigation (distance d’un abri, 6 et 60 MN). Une remarque, une correction, une précision ?
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