Le Belem, on a tous l’impression de le connaître. La star des voiliers a déjà paradé lors du jubilé de diamant de la Reine d’Angleterre en 2012 et participé à tous les grands rassemblements nautiques dans le monde. Il a fait l’objet de tant de reportages et de livres, et on l’a si souvent admiré dans la région, à La Rochelle, Arcachon, Bayonne et, bien sûr, Bordeaux, lors de la Fête du vin ou du Fleuve, ou de l’inauguration du pont Chaban-Delmas, en 2013. C’est aussi dans le port de la Lune qu’il a passé en 2016-217 cinq mois d’hivernage, au lieu de Nantes, son port d’attache, pour la première fois de son histoire. Certains ont même eu la chance de le visiter, voire de naviguer à son bord ! Mais savez-vous vraiment tout de ce fantastique témoin de trois siècles de notre histoire ?
Un cargo d’acier
Né aux chantiers Dubigeon de Nantes, en 1896, à la fin de la grande époque de la marine marchande à voile, le Belem fête cette année ses 128 ans, tout comme la première édition des Jeux olympiques modernes. Le cargo est destiné au commerce du cacao, notamment pour le chocolatier Menier, entre la France et le Brésil, et notamment le port de Belem, d’où il tire son nom. L’armateur Fernand Crouan, qui a passé commande du trois-mâts, avait bien spécifié : « Ce n’est pas parce que je transporte du cacao pour M. Menier qu’il faut me faire un bateau en feuille d’étain. Le « Belem », je le veux plus solide que le « Noisiel » – du nom d’une usine Menier – le prototype que vous m’aviez déjà construit avec une coque d’acier » (1). Il a été obéi au doigt et à l’œil par ses constructeurs. Ce qui explique aussi sa remarquable longévité.
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Il prend feu lors de sa première traversée
Placé sous le commandement du capitaine Lemerle, dit « le Merle noir » en raison de son caractère ombrageux, il s’élance pour sa première expédition outre-atlantique de la cité des ducs de Bretagne, en juillet 1896, pour rallier les Amériques, les cales lestées de pierres. Après 50 jours de mer, il arrive en Amérique du Sud, à Montevideo, la capitale uruguayenne, où il charge 121 mules destinées à tracter les tramways brésiliens. La seconde étape du voyage n’est pas de tout repos, mais l’arrivée à Belem tourne carrément au drame : le feu prend dans la cale. L’incendie est maîtrisé mais les dégâts sont énormes. Il faut jeter les cadavres calcinés des animaux et quand le voilier reprend la mer pour Nantes, où il accostera six mois après son départ, c’est sans le précieux cacao qu’il aurait dû transporter, et il devra retourner au chantier-naval pour de grosses réparations.
Trente-trois expéditions… et quelques grandes frayeurs
La traversée inaugurale du Belem est un désastre, mais sa carrière ne fait que commencer. Le deuxième voyage, avec un deuxième capitaine mais toujours avec un chargement de mulets, se déroule sans incident notable.. sauf qu’une révolution compromet le débarquement ! Ce n’est qu’à la troisième expédition – et avec un troisième capitaine – que le « Belem » rapportera enfin du cacao. Il continuera ensuite régulièrement son trafic de grains et d’animaux contre du cacao et des épices. Quand il prend sa retraite, en 1914, cet » Antillais » aura traversé trente-trois fois l’Atlantique.
Il réchappe à l’éruption de la montagne Pelée
Durant sa carrière, entre autres aléas, le Belem a aussi connu les faillites en série de ses armateurs et quelques grandes frayeurs. Comme en 1902, à la Martinique. Le volcan qui surplombe la ville de Saint-Pierre s’est réveillé en février. Dans la nuit du 4 au 5 mai, il entre en éruption. Le 8 mai, c’est la catastrophe. La montagne Pelée explose, une nuée ardente partie du sommet du volcan détruit complètement la capitale économique et culturelle de la Martinique, tuant ses trente mille habitants. Le port et ses bateaux sont entièrement détruits. Sauf le Belem, qui échappe miraculeusement, avec son équipage, à l’anéantissement. En arrivant à Saint-Pierre, le voilier avait trouvé son poste d’accostage déjà occupé. Il avait fait alors le tour de l’île pour jeter l’ancre, ailleurs, dans l’anse Robert.
Yacht de luxe en Angleterre
Après trente-deux expéditions au commerce, durant lesquelles il aura aussi chargé du charbon à Cardiff pour les Antilles, transporté des phosphates et ravitaillé le bagne de Cayenne, le trois-mâts, victime de la concurrence de la vapeur, tout comme les clippers qui transportaient le thé, est vendu au duc de Westminster en février 1914. Le duc l’équipe de deux moteurs Bollinders, surélève la dunette et aménage de somptueux appartements à l’intérieur. Cinquante personnes servent à bord du « Belem » qui, devenu yacht de luxe, paradera jusqu’en 1922.
Une autre grande fortune britannique le repère. Arthur Ernest Guiness, l’héritier de la célèbre brasserie irlandaise, rachète le voilier au duc et le rebaptise « Fantôme II ». Avec la famille de son nouveau propriétaire, l’ex Belem fera le tour du monde, avant de trouver refuge en 1939, dans la rade de Cowes sur l’île de Wight. Durant la Seconde Guerre mondiale, le bateau sert de QG aux Forces navales françaises libres. En 1942, ce « miraculé » qui a décidément la baraka réchappe aux bombes allemandes. Quand Guiness décède, en 1949, sa fille met en vente le navire.
Navire-école à Venise, sous pavillon italien
Tombé dans l’oubli, le trois-mâts est sauvé par Vittorio Cini, un aristocrate italien, qui l’achète en 1952 et le rebaptise Giorgio Cini, du nom de son fils décédé accidentellement. Gréé en trois-mâts goélette pour y accueillir avec une discipline militaire les élèves méritants de l’école de la fondation du comte, et notamment les orphelins, le Belem entame une reconversion de navire-école, . Amarré à Venise, face à la place Saint-Marc, il naviguera pendant treize ans dans l’Adriatique et accueillera à son bord des millieres de jeunes, avant d’être une fois de plus abandonné, en 1965, cette fois-ci dans la lagune de Venise, car jugé trop vétuste.
Le Belem retrouve son pavillon de naissance
Le Giorgio Cini est mis en vente fin 1977. Le docteur Gosse, un médecin grenoblois passionné de voiliers anciens qui avait découvert au hasard d’un congrès à Venise la véritable identité du vieux trois-mâts amarré face à la place Saint-Marc, va faire des pieds et des mains pour que le Belem retrouve son nom et sa patrie d’origine. Les médias s’en mêlent, notamment la fameuse émission télévisée Thalassa, qui consacre en septembre 1978 un sujet au navire nantais. Sous l’impulsion d’un banquier, Jérôme Pichard, le bateau est racheté en 1979 par l’Union des Caisses d’épargne de France. Le 15 août 1979, le trois-mâts fait ses adieux à la Sérénissime, avant de rentrer triomphalement le 17 septembre en rade de Brest, escorté par la Marine nationale, qui le prend en charge et envisage de s’en servir comme support de formation.
Classé « Monument historique »
Après avoir battu pavillon anglais puis italien, le navire, qui a désormais accédé au statut de bijou patrimonial national, est démâté pour remonter la Seine, afin d’être restauré à Paris, quai de Suffren, au pied de la tour Eiffel, grâce au soutien de la Caisse d’Epargne et avec l’aide de l’État. Durant toute la durée du chantier, ouvert au grand public, un petit musée aménagé dans l’entrepont verra défiler près d’un demi-million de visiteurs. Après quatre ans de travaux qui ont redonné au trois-mâts quasiment son lustre et son état d’origine, il est classé « Monument historique navigant », en 1984. En 1986, accueilli par une foule en délire, le Belem retrouve Nantes, sa ville qui l’a vu naître.
Navire-école de prestige ouvert à tous
Confié à la Fondation Belem en 1981, le trois-mâts garde sa vocation de navire-école, militaire d’abord. Il sillonne les mers et océans enchaînant les parades nautiques et représentant la France aux quatre coins du globe. En 1986, ll participe aux fêtes de centenaire de la statue de la Liberté. En 1996, pour son propre centenaire, il se fait navire-école civil ouvert à tous. Fin mai, il arrive ainsi à Bordeaux de Bayonne sous le commandement du capitaine Parri avec une quarantaine d’amateurs qui ont appris à manier la barre, à gréer les 1 200 mètres carrés des vingt et une voiles. En 2008, il participe au 400e anniversaire de la ville de Québec puis au jubilé de Diamant de la Reine Elizabeth II en 2012. Cette année-là, il s’invite déjà aux Jeux olympiques, à Londres. En 2019, il est au cœur de l’Armada de Rouen.
Le Belem à l’heure des Jeux olympiques
Grâce à un équipage mixte de 16 marins professionnels issus de la marine marchande, le Belem embarque désormais jusqu’à 48 stagiaires par expédition, soit quelque deux mille stagiaires chaque année. Aymeric Gibet, le capitaine actuel du navire, encadre la vingtaine de jeunes en réinsertion qui partent le 28 avril du port du Pirée, en Grèce, pour traverser la Méditerranée avec la flamme olympique. L’entrée du trois-mâts dans le vieux-port de Marseille se fera le 8 mai. Le début d’un long périple pour la flamme qui prendra les routes françaises avant d’arriver à Paris le 26 juillet 2024, jour de la cérémonie d’ouverture des Jeux olympiques.
(1) L’histoire du « Belem » est relatée dans le livre de Daniel Hillion (Ed. de l’Épargne) et dans celui de Philp Plisson, qui a réalisé de merveilleuses photos du « Belem ». et dans le hors-série de Sud Ouest, réalisé en collaboration avec le Chasse-marée, « Les cinq vies du Belem ». 9,9 euros.
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