L’adulte au visage juvénile a encore dans les yeux les rêves et l’émerveillement d’un enfant. « Regardez la vidéo du Vendée, le jour où il voit un albatros pour la première fois », conseille, ému, son père. L’enfant, lui, avait avant l’âge le sérieux et la rigueur de l’ingénieur.

Un mélange de passion pure et de sciences exactes

François Gabart, 29 ans, favori pour une victoire de légende dans le Vendée Globe, a toujours été ce mélange de passion pure et de sciences exactes. Son père Dominique lui a transmis un virus hérité de deux générations. « L’arrière grand-père de François grand pêcheur et chasseur, avait construit, près de Périgueux, des barques pour naviguer sur la Dordogne. À Libourne ensuite, il empruntait une yole du club d’aviron. Mon père a construit un Moth nantais, puis un Caneton. Nous avons eu ensuite quatre Requin. Adolescent, je passais mes vacances sur le bateau à Royan, sur l’île d’Oléron et dans les années 70, je faisais des régates en Jet. »

Devenu adulte et dentiste, Dominique Gabart rêve d’une longue croisière avec son épouse Catherine, convertie sans peine au bateau. Mais le couple travaille d’abord et concrétise un peu plus tard ce merveilleux projet avec ses trois enfants à bord, Cécile, Alice et François, 6 ans.

« Nous sommes partis de Rochefort à l’été 1989 pour une traversée de l’Atlantique « standard » par les alizés, en passant à Madère, aux Canaries, aux Antilles et aux Îles Vierges puis nous sommes remontés vers les Bahamas, Cap Canaveral et Washington. Je pense que c’était une expérience familiale plus que nautique. Les enfants avaient leurs parents 24h/24 à moins de 10 mètres, nous faisions les devoirs, des jeux, des petits bateaux en papier, c’était un moment de grand bonheur. Sans faire de psychologie, François a été très heureux sur un bateau très tôt, c’est évident. »

Les rêves de François Gabart

Comment naissent les rêves ? À Orlando, François découvre Disneyworld, à une époque où Euro Disney n’existait pas. Il aurait pu rêver de cinéma mais…

« La première édition du Vendée Globe se déroulait pendant notre croisière, On se tenait au courant des routes des bateaux de la course avec l’espoir de les apercevoir. Je me souviens que François scrutait le large. Cette course, c’est un rêve de gosse. »

« C’est aussi pendant cette croisière que François a navigué seul pour la première fois. C’était à la barre d’un Optimist en alu qui servait d’annexe à un autre voilier, sur l’Intracoastal Waterway, un ensemble de voies d’eau intérieures le long de la côte est des États-Unis. » À leur retour en France commence la « carrière » du jeune homme pressé. « Je lui ai construit un Optimist en bois, il voulait avoir son bateau et faire des compétitions. Il s’entraînait le mercredi à Saint-Yrieix et le week-end nous partions en régate. »

« Cet Opti n’était pas très performant, on en a acheté un autre, qui portait le numéro 101, avec lequel François a notamment gagné la coupe nationale des benjamins à Maubuisson. Après, on a essayé d’avoir un bateau un peu supérieur aux autres. François aime gagner, c’est clair, et il a toujours voulu mettre toutes les chances de son côté. Nous avons fait construire un Optimist en époxy, le premier et le seul de France je pense. Il a été champion de France d’Opti en avec ce bateau, qui portait le numéro 301, comme « Macif ». François n’a jamais voulu le vendre. Il servira à la génération suivante je pense… »

Pendant cette époque Opti, Dominique Gabart accompagnait son fils à chaque entraînement, chaque régate. Pour Stéphane Maisse, son entraîneur entre 6 à 11 ans au sein d’une équipe sponsorisée par… Macif, cette « complicité totale » n’a rien à voir avec ces histoires de parents faisant carrière à travers leurs enfants. Dominique Gabart savait se mettre en retrait quand c’était nécessaire.

Responsabilité et autonomie

« J’ai toujours voulu responsabiliser mes enfants, leur donner le plus d’autonomie possible. Sur notre bateau de croisière, un Kelt 39, il y avait une annexe équipée d’un petit moteur. François voulait tout faire, et seul, et je me souviens lui avoir fait passer des « permis maison ». Permis de pagayer, permis annexe, permis moteur, permis voile, il passait des examens pour toutes les manœuvres accostage, évitage, etc. Je lui faisais des petits carnets roses, on collait sa photo dessus. »

Apprendre petit à petit mais vite, être curieux, gérer ses projets, bâtir des rêves immenses au millimètre, le petit Gabart était déjà tout cela. « La gestion de projets, c’est François, il ne tient pas ça de moi, je suis bordélique ! Lui, il se met des buts et se concentre sur tout ce qui peut lui servir à l’atteindre, jusqu’à chercher loin parfois. Quand il était en Figaro, il faisait les routages météo de la Volvo Ocean Race. Il travaille beaucoup, 20 heures par jour, il dort très peu, depuis l’enfance, c’était difficile de le coucher. Et c’est vrai, la vie n’est pas toujours facile avec François parce qu’il écarte violemment ce qui l’éloigne de ses buts. »

Un jour, à 26 ans, François Gabart est allé demander au maître Michel Desjoyeaux s’il pouvait l’aider à courir le Vendée Globe. Le maître lui a répondu « c’est un peu tôt, bosse encore. » Quelques mois plus tard, Gabart est revenu frapper à la porte, résolu. Un cerveau d’ingénieur porté par un cœur d’enfant qui bat très fort.

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