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Tourcoing
Publié le 09/10/2024 à 18:30
Comme à Tourcoing, des élèves mettent parfois leur voile islamique dans l’enceinte de leur établissement scolaire, juste avant de sortir. Et l’enlèvent après être entrées, même si ce n’est pas conforme à la loi de 2004 sur les signes religieux à l’école. Un jeu du « chat et de la souris » tel que décrit par les professionnels de l’enseignement, devenu assez fréquent. Avec ou sans provocation.
C’est une scène assez courante dans certains collèges et lycées : des élèves n’enlèvent leur voile islamique qu’une fois entrées dans l’établissement. Et le mettent juste avant de quitter leur établissement, même si ce n’est pas conforme à la loi de 2004. Selon les premières investigations, une enseignante avait demandé à cette élève de 18 ans de Tourcoing (Nord) de retirer le voile qu’elle venait de revêtir avant d’être sortie du lycée. La jeune fille aurait refusé et prononcé des injures. La professeure s’est ensuite « opposée à sa sortie de l’établissement afin de recueillir son identité » et l’élève a alors porté « une gifle à l’enseignante, qui la lui rendait », selon le parquet de Lille. « Se sont ensuivis plusieurs coups, menaces et bousculades ».
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Une poignée d’élèves se sont rassemblés devant le lycée mercredi 9 octobre, dont une amie de la jeune fille qui a qualifié la situation « d’injustice », estimant que le fait de remettre un voile avant d’avoir complètement quitté l’établissement était « habituel ». La demande de mettre le voile un peu avant de sortir est « effectivement assez classique, avec ou sans provocation de la part des élèves », explique Bruno Bokiewicz, responsable du premier syndicat des chefs d’établissements, le Snpden-Unsa. Si ce n’est pas « massif, ça arrive dans des établissements spécifiques », détaille Marie-Laure Tirelle, déléguée laïcité pour le syndicat d’enseignants Se-Unsa.
Comme ce lycée de Tourcoing « où la mixité sociale est extrêmement faible et les élèves d’origine musulmane en nombre important ». Plus globalement, sur le réseau social Tiktok, quelques lycéennes se vantent, vidéos à l’appui, de jouer avec les règles, en gardant le voile « dans le lycée » sans que les surveillants n’interviennent. « A la fin des cours, les élèves mettent le voile sur les épaules pour pouvoir l’attacher dans la cours de récré avant de sortir. Certains de mes professeurs ne le supportent pas. D’autres sont complètement ouverts sur le sujet », témoigne une lycéenne marseillaise contactée par Marianne.
Le jeu du chat et de la souris
« Malheureusement, ce petit jeu du chat et de la souris est assez généralisé et n’a rien de neuf. Pourtant, la loi, c’est la loi. Une frontière, c’est une frontière. Tolérer ces contournements de la loi n’est pas une solution. Il y a une stratégie évidente de grignotage. Les islamistes sont très forts là-dedans », regrette Alain Seksig, secrétaire général du Conseil des Sages de la laïcité au ministère de l’Education nationale.
Dans le sas entre la grille d’entrée et les bâtiments scolaires, professeurs et chefs d’établissements font parfois preuve d’une « certaine tolérance et règlent le sujet au cas par cas », raconte Marie-Laure Tirelle : « Si les adolescentes sont sous la pluie, certains proviseurs préfèrent ne pas leur imposer d’enlever le voile juste avant d’entrer car ça va susciter des tensions. On leur laisse trois mètres pour l’ôter à partir du moment où elles arrivent tête nue dans les bâtiments scolaires », raconte-t-elle. N’est-ce pas contre-productif ? L’idée est « surtout d’amener un dialogue et de se montrer persuasif. On y va petit à petit. Ceci dit, tout dépend évidemment de l’attitude de la jeune fille. Si elle est d’emblée dans l’opposition et la provocation, si elle réitère ce comportement, c’est logique que les collègues disent stop. Et c’est, semble-t-il, ce qui s’est passé à Tourcoing ».
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Pour le directeur de cabinet d’un rectorat du sud de la France, le manque de mixité à l’extérieur de l’établissement peut « induire une demande de sortir en étant voilée ». Pour les jeunes filles « à tort ou à raison, c’est même parfois une question de sécurité. Quand votre lycée est au milieu d’un point de deal et à proximité d’un lieu de prière, vous pouvez vous sentir sous pression religieuse. Bien entendu, cette demande peut aussi être liée à une conviction religieuse. Elles peuvent ne pas vouloir sortir dans la rue sans leur voile pour cette raison. Si c’est à trois mètres de la grille, on peut tolérer un certain temps. Le plus important, c’est qu’elles acceptent la loi une fois qu’elles sont dans l’établissement. On sait vite si elles sont dans la provocation ou non. Il faut les convaincre, c’est Sisyphe tous les ans ».
La loi et rien que la loi
Ce principal de collège de Mulhouse (Haut-Rhin), lui, applique la loi et « rien que la loi » : « Certains matins, je refoule quelques élèves, surtout à la rentrée scolaire. Elles testent. Mais après quelques minutes, elles acceptent toujours d’enlever le voile : Elles sont jeunes, ce n’est pas si compliqué de les convaincre, raconte-t-il. Je n’ai jamais eu besoin d’accepter des changements de tenue dans l’enceinte du collège, mais c’est parfois difficile de résister si on veut éviter les tensions. Certains de mes collègues préfèrent être plus tolérants au départ et resserrer les vis progressivement. Quand les filles sont au lycée, en terminale ou en BTS et qu’elles ont 18 ans ou 20 ans, c’est compliqué. Elles ne comprennent pas cette interdiction. Il faut aussi faire avec les professeurs de l’établissement. Ils sont de plus en plus nombreux à critiquer la loi de 2004 et n’ont aucune envie de faire la guerre au voile. »
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Les jeunes enseignants sont significativement plus nombreux à considérer que la laïcité, c’est la mise sur un pied d’égalité des religions (32 % contre 18 % pour l’ensemble du corps enseignant), « dans une vision qui pourrait relever de la laïcité comme principe organisateur de la coexistence plus que la vision d’une laïcité au rôle émancipateur », expliquait la fondation Jean-Jaurès dans une de ses enquêtes sur ce sujet.
Ces accommodements avec la loi de 2004 vont parfois assez loin. Dans un lycée de Strasbourg, il y a quelques années, une salle était dédiée au changement de tenue des jeunes filles, à plusieurs dizaines de mètres de l’entrée. Dans d’autres établissements, certaines se changent dans les toilettes avant de sortir. Des chefs d’établissements ont pu mettre en place un miroir dans le sas du lycée pour que les filles ajustent leur coiffure en arrivant.
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Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne